"Terre des oublis", un roman de Duong Thu Huong (Claire Villemagne)
Terre des oublis, un roman vietnamien
de Duong Thu Huong
Claire VILLEMAGNE
Avec Terre des oublis, Duong Thu Huong nous ouvre une fenêtre sur le Vietnam actuel. Les séquelles de la guerre sont toujours visibles et actives, dans la vie sociale et dans la sphère privée. Miên est l’heureuse épouse d’Hoan. Veuve de guerre, des régions montagneuses, elle a refait sa vie avec ce bel homme venu de l’Est, d'une ville côtière. Leur couple incarne la modernité vietnamienne : la réussite sociale grâce aux exploitations de poivriers et de caféiers dans les montagnes du centre, et au développement du commerce dans une ville du littoral. Tous deux sont beaux, leur peau est claire, Hoan ressemble à un acteur de cinéma, grand et fort.
Pour autant, leur itinéraire s’inscrit dans la
tradition vietnamienne : si Hoan n’est pas allé aux combats, c’est pour
cause médicale. Ils ont acquis leur niveau social suite à un travail
acharné et à un sens aigu pour les affaires. Leur mode de vie est à la
fois moderne et traditionnel : la maison dispose de tout le confort
possible, de l’électroménager aux installations sanitaires. Mais le
jardin, l’architecture, les meubles traduisent un ancrage fort dans la
tradition. Hoan néglige les savons et produits de toilette
occidentaux, il utilise toujours des décoctions à base de feuilles de
basilic, de citronnier et de pamplemoussier comme sa mère le faisait.
Le respect des ancêtres et des morts est essentiel : le visage
tutélaire de l’instituteur Huy ne le quitte pas, ce père disparu reste
un appui majeur et un guide respectueux.
Le respect des morts
et de la tradition, c’est ce qui guide Miên lorsque son premier mari,
mort aux combats, surgit soudain bien vivant. Le poids social, le
regard et les commentaires des villageois du Hameau de la Montagne et
surtout son sens du devoir la poussent à quitter Hoan pour reprendre
une vie commune avec Bôn. Elle n’abandonne pas seulement un second mari
aimant, mais aussi un enfant de cinq ans désiré et choyé, un statut
social des plus enviables et un bonheur sans faille.
Bôn est
bien l’inverse d’Hoan : plus petit, sa peau sombre et ses yeux lui
donnent un air de cham. Il a subi toutes les violences de la guerre :
combats acharnés, bombardements sauvages, survie dans la jungle, crise
de paludisme… Il a connu la peur, la souffrance, la faim et la soif. Il
incarne le Vietnam de l’après Libération nationale : courageux mais
sacrifié pour la cause commune, ballotté au gré des batailles. Lui
aussi est ancré dans la tradition vietnamienne, hanté par les fantômes
laissés derrière lui, respectueux de ses morts (parents, compagnons
d’armes et sergent) et de sa responsabilité familiale envers sa sœur
Ta, mère célibataire débauchée et sans fierté.
Ce
triangle amoureux est éclairé par l’auteur. Elle nous donne les clefs
nécessaires : le passé de chacun qui pèse dans leurs choix, leur mode
de vie, leurs goûts et leurs espoirs… Au-delà de Miên, Hoan et Bôn, le
lecteur découvre le Vietnam. Sa cuisine savoureuse et parfumée s’impose
comme un art de vivre. Sa sensualité, même la plus crue, est longuement
décrite. Les liens familiaux et sociaux sont finement analysés. Terre des oublis
offre un aller sans retour pour le Vietnam, un aller dont on ne se
remet pas tant les destins décrits sont forts et ambivalents, servis
par une écriture séduisante et un récit remarquable.
Claire Villemagne
liens
- une biographie de Duong Thu Huong
- une autre biographie de Duong Thu Huong